N°1_ Le sexisme c’est dépassé ?

Ils sont trois : quand je les croise l’un dit « elle a un beau corps, et un visage simple »… J’ai entendu des façons de parler beaucoup plus crades mais sa manière très « clinique » (lui dira « objective ») de décrire l’absente m’énerve très vite. Ils s’éloignent déjà quand je leur crie que la personne dont ils se permettent de parler n’est pas un morceau de viande (merde à la fin!). Celui qui se retourne me dit « viens, explique, j’ai pas capté ce que t’as dit ». Je décide d’y aller.

Ils sont pas bien vieux encore et sous l’autorité de nombreux adultes, et n’occupent pas les mêmes positions socialement, ni dans cette discussion. Le fait que je sois trans, sûr de moi et visiblement plus vieux ne m’empêche pas de savoir le danger qu’ils peuvent représenter pour des personnes de leur âge ou plus jeunes qu’ils fréquenteraient à l’école, dans la famille ou lors de soirées… Trois mecs même adolescents qui parlent du corps d’une fille ça n’a rien d’anodin, mis à part le fait que ça ne dit rien de ce qu’elle a dans la tronche ni dans le coeur. Ça pue la menace, le viol.

L’un deux se tait. Je ne sais pas s’il écoute, s’il veut juste se barrer ou s’il est mal à l’aise. Je l’identifie comme quelqu’un qui vit du racisme. L’un des autres, visiblement plus sûr de lui, m’explique que le sexisme c’est un truc de ma génération. Bien tenté mais ça ne marche pas. Ce n’est pas aux personnes placées en position de dominant-es de valider ou nier l’existence d’un rapport de domination.

Ils sont surpris, déstabilisés voire un peu vexés que je leur renvoie ce statut de dominants à la gueule, tous persuadés d’être du côté des « gentils ». Mais c’est trop simple de se dire que seuls les gars sexistes retirent des avantages du patriarcat, tout comme ce serait trop simple de se dire que seul-es les blanches racistes profitent du racisme en tant que système de domination. Le statut de dominant n’est pas seulement un statut actif : on ne l’a pas seulement au moment où on déciderait de marcher sur la gueule de quelqu’un d’autre. Il se joue de façon plus ou moins criante dans la plupart des interactions, des dizaines de fois par jour, qu’il s’agisse de faire du stop, de chopper un appartement, un travail ou encore de remplir ses poches dans un magasin. Il s’incarne dans le fait de se voir attribuer des privilèges par des inconnu-es (être davantage considéré, regardé, pris en compte, valorisé…) ou d’être destinataire de complicités dégueulasses de la part de cell-eux qui nous considèrent comme l’un-e des leurs et parlent devant nous des crasses qu’ils ont dans la tête ou qu’il-es ont fait subir à des personnes dominées. Ces charognes attendent de leur interlocuteur qu’il-e valide ou renforce leur statut de dominant-es. Tout est fait pour qu’on reproduise cette partition dégueulasse si on n’a pas conscience de l’endroit où on est placé socialement parlant, et des privilèges qui vont avec. Se taire, surenchérir ou faire semblant de rire à l’énième « blague » sexiste, transphobe, homophobe, raciste, classiste, validiste ou âgiste (à croire qu’on ne peut faire de blague qu’en dénigrant ou humiliant ?) revient à se faire complice, de ce qui est en train de se passer et participer de cette complicité de dominants: solidarité masculine, blanche; adulte etc.

Le patriarcat, comme les autres systèmes de domination, doit sa force et sa longévité au fait d’être véhiculé par les dominants mais également par les dominées (qui n’ont pas les mêmes intérêts ni les mêmes responsabilités là-dedans), en faisant intégrer à tous-tes un ensemble de valeurs propices aux dominants (considérés comme point de référence). Ce dernier donne aux personnes dominées une vision dégradée et dévalorisante d’elles-mêmes et des autres dominées. On peut ainsi parler de misogynie intégrée quand des personnes assignées filles posent qu’« elles aiment pas les filles » en accusant les autres d’être manipulatrices, menteuses, superficielles (rien que ça !). Ce sexisme à l’œuvre partout, y compris entre personnes assignées filles, est un premier obstacle à détruire pour pouvoir tisser rencontres et solidarités. Elles auraient une autre gueule, nos relations si elles n’étaient pas considérées comme secondaires, qu’on refusait d’être mises en compétition ou en rivalité systématiques pour assurer notre survie sociale auprès des dominants (pour leur plus grand profit).

Chiches?

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